Cet article de Romain Cristofini a été initialement publié sur le blog de la Communauté des Leaders Eclairés.

« Chaque crise est une invitation à la spiritualité. » – Jack Kornfield

La période qui s’ouvre va mettre à l’épreuve tous les entrepreneurs et les managers.

Je l’avais vécu dans ma chair en 2008. Se lever le matin et travailler d’arrache-pied quand son entreprise est en bonne santé est vertueux et enthousiasmant. Mais se lever chaque jour pour essayer de sauvegarder des emplois ou simplement de « survivre » est épuisant et rapidement dénué de sens pour celles et ceux qui sont habitués à créer et bâtir. En cette rentrée, l’énergie manque même chez les plus optimistes et les plus travailleurs d’entre nous. Peu d’entre nous ont l’âme de pompiers ou de cost killers

La crise est (aussi) spirituelle

Vous ne le lirez pas dans les médias « mainstream » : la crise que nous vivons n’est pas uniquement sanitaire ou économique. Elle est aussi  -et peut-être essentiellement – spirituelle. L’instabilité ou la souffrance psychologique que nous sommes nombreux à vivre en ce moment n’est pas uniquement due à l’incertitude de l’avenir ou à la peur du virus : la crise a ouvert une profonde brèche dans le mur de nos certitudes et de nos conditionnements et elle vient ébranler notre être.

Le confinement nous a confronté en tant qu’être humain à notre existence, à la direction que nous lui donnons et à cet essentiel dont nous nous détournons souvent en poursuivant des buts qui ne nourrissent pas notre moi profond. Mais le tiraillement intérieur n’est pas qu’individuel, il est également collectif. Il rôde désormais un parfum de « fin du monde » : notre modèle de société vacille sous nos yeux, les limites de notre écosystème planétaire sont atteintes… Sauf à se couper du monde en ermite, plus personne ne peut échapper à cette réalité qui pèse désormais sur toutes les consciences, y compris de celles de nos enfants, petits ou grands. Nous voici en pleine tourmente existentielle, secoués comme dans une grande machine à laver qui ébranle même les plus sages et les plus ancrés d’entre nous…

Donc, oui, la crise est bien spirituelle : elle nous force à questionner notre rapport à notre propre vie, à la mort et au lien que l’Humanité doit entretenir avec la nature et le vivant si elle souhaite perdurer. Et si la crise est spirituelle, il faut y répondre aussi sur un plan spirituel.

Intégrer pleinement la dimension spirituelle dans l’entreprise

Ces questionnements essentiels, les collaborateurs les ont eux aussi, à des degrés variés. Ceux qui ne sont pas tétanisés par leurs peurs ne se satisferont pas d’une gestion de crise destinée à survivre et à perpétuer un modèle qu’ils savent désormais voué à disparaître : ils attendent de leurs dirigeants et de leurs managers une réponse à un niveau supérieur ; Ils attendent une résilience qui ne consiste pas simplement à « rester debout » après la crise mais à trouver du sens à l’épreuve pour en ressortir tous ensemble grandis et alignés avec un projet enthousiasmant qui participe à la guérison du monde.

Questionner le rôle même de l’entreprise, sa contribution à l’épanouissement existentiel de chacun, son apport au monde, sa façon de protéger la vie… les leaders peuvent-ils faire l’économie d’adresser ces sujets au risque de passer complètement à côté de ce que la crise offre ?

Pour de multiples raisons, la spiritualité a trop longtemps été tabou dans les entreprises. Cette omerta inconsciente n’a plus lieu d’être :  elle est devenue mortifère car elle coupe les êtres-humains d’une partie d’eux-mêmes. En offrant un électro-choc de conscience, la crise créé les conditions d’une autorisation nouvelle pour les leaders : celle de permettre à chacun d’exprimer ses aspirations les plus hautes pour lui, pour la société et pour la vie.

Ce nouvel espace de spiritualité au travail est selon moi d’une infinie richesse et renferme un réservoir d’énergie totalement insoupçonné et sous-estimé. Il permet, entre autres, d’accéder à la notion de motivation transcendante (1), le plus haut niveau d’engagement des individus : celui où je m’engage pleinement car je sais que mon travail me permet de nourrir cette dimension de mon être qui aspire à contribuer au-delà de moi et pour le monde.

Le rôle des leaders éclairés

Dans le festival « Agir pour le vivant » organisé à Arles fin août sous l’impulsion des Editions Acte Sud, j’ai entendu cette phrase au cours d’un débat sur les insuffisances du PIB comme indicateur : « il va falloir désormais offrir du TIP dans les entreprises, du Temps Intérieur Brut. Pour les acteurs éclairés, l’erreur serait de se remettre la « tête dans le guidon » et de se laisser happer à nouveau par nos anciens modes de pensée. La crise nous invite à rester au plus près de soi (comme durant le confinement), des autres et du monde. Car tout est à réinventer à partir d’un autre état de conscience. Agir à partir de l’être et du cœur (et non du seul mental), tel est désormais notre défi.

Chaleureusement,
Romain Cristofini
Président de l’association des Leaders Eclairés

(1) Pablo Cardona et Carlos Rey, Dirección por misiones – La direction par mission – Comment générer des entreprises à haut rendement, Deusto, 2018