[Voici la reproduction d’un article rédigé pour le blog de Bertrand Juvenot]. Le leadership traverse une crise. Coincées entre leurs impératifs économiques et les enjeux écologiques, les entreprises doivent impérativement se réinventer pour mettre leur puissance, jusqu’alors sans précédent dans l’histoire, au service du bien commun. Une nouvelle génération de leaders à même de les guider sur le chemin devient nécessaire. Un point de vue que défend Romain Cristofini dans son nouveau livre.

1. Pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Il y a 3 raisons principales.

La première, c’est que le leadership en entreprise est en crise car il doit évoluer en profondeur et rapidement pour relever les crises de notre époque.

Même si peu d’entre nous le disent encore de façon aussi claire, nous savons tous que les entreprises ne vont pas pouvoir continuer longtemps à faire leur « business as usual » sans se soucier de l’état de la planète ni des générations futures. Les entreprises sont appelées à se transformer. Et « pour de vrai » cette fois car le temps des « social washing » ou autres « green « washing » est révolu.

Pour amener les entreprises à assumer leur responsabilité sociétale historique – c’est-à-dire à mettre leur puissance au service du bien commun – il faut donc une nouvelle génération de leaders éclairés et engagés. Dirigeants et entrepreneurs sont en fait appelés à opérer un véritable « saut de conscience » pour lâcher les conditionnements du passé (dogme de la croissance, recherche du profit maximal, court terme…) et adopter une vision beaucoup plus altruiste et holistique de leur entreprise. Cette transformation n’est pas aisée pour un manager : il doit se libérer de certaines croyances sur lui-même (son rôle, son pouvoir, ses scénarios de réussite personnelle,…) et entamer un véritable travail sur lui-même pour « changer de lunettes » et oser prendre le risque de sortir des sentiers battus. Ce livre sort maintenant car il y a urgence à regarder cette réalité en face : c’est à la tête des entreprises que les changements doivent maintenant s’opérer : les dirigeants ne peuvent plus s’exonérer d’une transformation qu’ils demandent souvent à leurs managers. Les esprits sont, je crois, désormais prêts à entendre cela.

La deuxième source de ce livre provient dans mon propre parcours : au travers de Monasterra, j’accompagne depuis 4 ans des managers et des entrepreneurs engagés dans ce changement sociétal. J’ai été ainsi le témoin privilégié de la transformation intime qu’ils opèrent et qui leur permet d’oser changer leur entreprise pour lui donner une mission sociétale. J’ai découvert qu’ils avaient tous en commun une sorte de force intérieure, comme s’ils étaient capables de puiser à une source intérieure existentielle leur permettant de dépasser leurs peurs et d’oser agir pour créer le monde auquel ils aspirent.

Ces aptitudes inédites qu’ils apprennent à mobiliser, je les ai regroupées dans mon ouvrage sous le vocable d’intelligence spirituelle. Celle-ci sommeille en chacun de nous, même si nous en avons perdu conscience dans nos vies encombrées et accélérées. Réintroduire une dimension spirituelle dans le travail représente pour moi l’une des grandes opportunités qu’offre notre époque tumultueuse. Les crises actuelles nous conduisent à réinventer notre relation aux autres, à la Nature et bien sûr, à nous-même. En témoigne les dirigeants interviewés dans mon ouvrage, ce chemin vers soi est aussi synonyme d’accomplissement profond pour celui qui en prend le risque.

Enfin, j’ai écrit ce livre car il est temps que les hommes et les femmes qui œuvrent déjà à ce changement de paradigme (ou veulent s’y engager) puissent se compter, se reconnaitre et se soutenir. Mon ouvrage est ainsi au service de la Communauté des Leaders Eclairés que j’ai initiée avec un groupe de patrons alignés et prêts pour changer d’échelle. Le mantra de cette Communauté est « Se changer soi, changer son entreprise, changer le monde » et elle a pour mission d’ accélérer la transition économique et écologique en aidant les dirigeants à opérer cette (r) évolution de conscience pour mettre leur entreprise au service de la Vie et des générations futures. Mon livre et tous ses témoignages à cœur ouvert de pionniers montre que cette voie existe et est exaltante.

2. Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Elle est extraite de la conclusion de mon livre. Et elle correspond pour moi à mon propre engagement de vie et de leader aujourd’hui.

La question qui se pose alors à vous est la suivante : avez-vous envie de prendre votre part à cette évolution des consciences ? Avez-vous envie de vivre pour vous-même une aventure intérieure au service du monde ? Si la réponse est positive, l’une des responsabilités qui vous incombent

consiste à (re)faire circuler la vie. Il vous incombe d’apprendre à regarder votre organisation pour libérer la vie qui ne demande qu’à jaillir. Il vous revient d’imaginer, de tester ou de faire goûter d’autres façons de travailler,de collaborer et de vivre ensemble. Il vous incombe de mieux comprendre les lois du vivant pour mieux collaborer avec elles. Et ces lois du vivant incluent celles de l’homme, celles de sa nature profonde qui en font un être ancré dans la terre et capable de se relier à tellement plus grand que lui.

La seconde de vos belles responsabilités consiste à rêver le monde de demain. À vous de renouer avec la dimension héroïque de l’entreprise. Celle-ci n’est pas l’apanage de quelques-unes dont les produits sont médiatisés ou séduisants : elle est à la portée de toutes car il n’est pas d’entreprise

qui ne soit d’abord une aventure humaine partagée. La nouveauté est que cette aventure ne peut plus uniquement servir ceux qui la vivent : elle doit être au service d’un idéal, d’une cause ou d’une vision qui la dépassent.L’entreprise est par nature spirituelle, sa raison d’être, « c’est de faire faire des choses extraordinaires à des gens ordinaires » nous rappelle Peter Drucker.

Les décideurs peuvent devenir des « leaders spirituels » en invitant la communauté dont ils ont la responsabilité – leur entreprise, leur département, leur équipe – dans un chemin d’humanité retrouvée.

Mais votre toute première responsabilité n’est pas tournée vers les autres, elle est vis-à-vis de vous-même : vous avez le pouvoir de renouer avec votre intériorité pour vous découvrir et rayonner de tout votre être.

Car pour faire circuler la vie dans son entreprise, il faut être soi-même vivant.

Pour incarner la raison d’être de son entreprise, il faut être soi-même dans sa mission de vie.

Pour rêver le futur, il faut pouvoir s’émerveiller de la Vie et savoir rêver sa propre vie.

Votre belle responsabilité, c’est de vous libérer vous-même pour permettre aux autres de se libérer.

Votre belle responsabilité, c’est d’oser mobiliser toutes vos intelligences, votre cœur et votre âme pour que votre esprit rationnel soit un outil au service de votre âme et non l’esclave de votre ego.3. Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Je crois d’abord que le spirituel va revenir en force dans le monde de l’entreprise. Car les collaborateurs comme les managers ont une soif de sens. Le burn-out est lui aussi synonyme d’une déconnexion à soi, à cette dimension spirituelle que tout être humain possède. Cette négation de nos besoins spirituels de transcendance – servir quelque chose de plus grand que nous-même et donner un sens à notre existence – a un coût important pour chaque être humain. Il n’est plus possible de laisser cette part de nous « au vestiaire » quand nous franchissons le seuil de notre entreprise : le travail doit (re)devenir un espace d’accomplissement existentiel.

Je crois ensuite que l’époque des leaders soi-disant visionnaires et charismatiques est révolue. Etant donné la complexité du monde et l’incertitude de l’avenir, n’est-il pas illusoire de penser qu’un manager – aussi intelligent soit-il – puisse à lui seul savoir et décider ? Trop souvent, ces leaders ont échoué et ne font qu’alimenter un système à bout de souffle pour les êtres humains et la planète. L’ego qui règne en maitre chez ces leaders n’est plus accepté par leurs collaborateurs et encore moins par les générations X et Y. Les leaders qui n’investisseront en eux-mêmes, que ce soit pas du coaching, une thérapie ou tout autre démarche d’intériorité, seront très vite dépassés.

Le leader de demain sera authentique, c’est-à-dire pleinement humain. Avec ses forces, ses talents mais aussi ses fragilités et ses vulnérabilités. S’il n’incarne pas réellement la mission de son entreprise parce que celle-ci résonne avec sa propre mission de vie, comment pourra-t-il vraiment inspirer ses équipes ? S’il n’a pas renoué avec son cœur et ses tripes avec la Nature et l’état du monde, comment pourra-t-il être crédible en matière de RSE ? Les collaborateurs ressentent tout cela. Plus personne n’est dupe car les attentes et les urgences sont fortes.

4. Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

La source profonde de l’engagement pour la société et pour la planète réside en vous : allez à la rencontre de vos incohérences, de vos tiraillements et de vos désirs pour le monde. Et lancez-vous. Osez porter votre parole ou votre projet. Vous y trouverez bien plus que la satisfaction habituelle du travail bien fait, vous vous sentirez plus vivant.


5. En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Je crois que les entreprises sont appelées à jouer un rôle capital dans l’histoire de notre époque. Elles peuvent non pas simplement limiter leur emprunte écologique mais contribuer à régénérer la Planète. De nouveaux modèles sont en train d’émerger où l’économie reprendra sa juste place : celle de contribuer au bonheur de la société et au vivre ensemble en harmonie avec la Terre et les autres espèces qui la peuplent.